L'Orchestre du Titanic

 Aucun des musiciens ne survécut au naufrage

"Certains lui reprochaient de jouer peu de Wagner; d'autres disaient que le violon était mauvais. Mais ça n'était que pour parler, car rien à bord n'avait plus de succès que l'orchestre."

Helen Churchill Candee, passagère de 1ère Classe

 

Brailey, Mr W. Theodore Ronald Pianiste
Bricoux, Mr Roger Marie Violoncelliste
Clarke, Mr John Frederick Preston Altiste
Hartley, Mr Wallace Henry Chef d'Orchestre, Violoniste
Hume, Mr John Law Premier Violon
Krins, Mr Georges Alexandre Violoniste
Taylor, Mr Percy Cornelius Violoncelliste & Pianiste
Woodward, Mr John Wesley Violoncelliste

 


Les 8 musiciens de l'orchestre

Rangée du haut, de gauche à droite: Georges Krins, Wallace Hartley, Roger Bricoux
Rangée centrale, de gauche à droite: Theodore Brailey, Percy Taylor, John Woodward
Rangée du bas, de gauche à droite: Fred Clarke, John Hume

 

Les 8 musiciens n'étaient pas des employés de la White Star Line mais des employés la Black Talent Agency appartenant à Messieurs Charles William et Frederick N. Black, 14 Castle Street à Liverpool, auxquels était sous-traitée la prestation musicale.

Les Frères Black étaient agents artistiques et, à partir de 1912, plusieurs compagnies maritimes, dont la White Star Line, signaient des contrats avec eux car ils proposaient la meilleure musique au prix le plus bas (Lire le Nota 1).
Malgré les protestations de leurs syndicats, les musiciens, qui étaient auparavant employés directement par les compagnies, durent signer avec les Frères Black ou changer de métier.

La White Star Line avait tout fait pour donner au Titanic le meilleur orchestre possible.
Les Frères Black avaient même débauché du Mauretania de la Cunard Line, son chef d'orchestre Wallace Hartley.
Il leur avait aussi été facile de faire venir du Carpathia le pianiste Theodore Brailey et le violoncelliste Roger Bricoux. Tous deux avaient dit au steward Robert Vaughan, qui les servait à bord du petit paquebot de la Cunard:
"Nous allons bientôt être sur un vrai bateau, avec de la nourriture potable !".
L'altiste Frederick Clarke n'avait jamais navigué mais était un musicien connu qui faisait partie d'un orchestre à la mode. Quant à "Jock" Hume, il n'avait jamais fait partie d'un orchestre, mais sa manière de jouer du violon avait beaucoup de succès.

N'étant donc pas employés par la White Star Line, les 8 musiciens du Titanic avaient embarqué à Southampton comme passagers de 2ème Classe avec un billet de passage collectif N° 250654.
Ils étaient logés sur le pont E, près de l'arrière, sur bâbord, dans une pièce non numérotée, adjacente à celle de la nettoyeuse à pommes de terre et possédant un local attenant destiné à ranger leurs instruments.
Ce statut de passagers les obligeait à subir les contrôles de douane et à être en possession de 50 dollars (des mois de salaire !) pour pouvoir débarquer sur le sol américain.

L'orchestre de base était, en réalité, divisé en 2 formations:

Les musiciens avaient quartier libre le matin et l'après-midi, de 15 h à 17 h.
Chaque formation avait ses propres arrangements et son propre catalogue musical dont les morceaux faisaient partie des 352 airs figurant eux-mêmes dans le Livre de musique de la White Star Line et qu'ils devaient connaître par coeur et retenir par leur numéro d'appel. Cependant, la chose la plus importante dont chaque musicien devait se souvenir était de ne jamais attirer l'attention sur lui. "N'oubliez pas mes garçons ..." leur dit Hartley, comme ils embarquaient le Mercredi 10 Avril à Southampton, "... nous sommes un service. Nous sommes des serviteurs qui jouent dans le coin des musiciens".
Le quintette et le trio n'avaient jamais joué ensemble avant la nuit du naufrage, et c'est probablement après la collision qu'ils le firent pour la première fois.

 


Le Livre de musique de la White Star Line

 

Après la collision, les deux formations composant l'orchestre se réunirent pour distraire et calmer les passagers.
Les musiciens rassemblés, vêtus de leurs uniformes aux revers verts, montèrent en haut du Grand Escalier de 1
ère Classe, au niveau du pont des embarcations. Ils se trouvaient ainsi dans le flux des passagers quittant leurs cabines pour se diriger sur le pont. Un petit piano se trouvait sur le côté bâbord du foyer de l'escalier, où il fit bon usage.

Vers la fin, alors que l'intérieur du navire était pratiquement désert, ils sortirent sur le pont des embarcations lui-même mais se tinrent près de l'accès au Grand Escalier où leur musique pouvait être entendue.
Alors que l'inclinaison du navire devint plus importante, aucun des musiciens ne manifesta la moindre volonté de départ.
La fin étant très proche, Wallace Hartley dit à ses camarades qu'ils avaient fait leur devoir et qu'ils pouvaient tenter de se sauver s'ils le souhaitaient. Aucun ne bougea.
Ils restèrent ainsi ensemble sur le pont jusqu'à ce que l'inclinaison de navire ne leur permette plus de se tenir debout avec leurs instruments, jouant pour tous ceux qui se trouvaient encore à bord, et désormais condamnés.
Quel dernier morceau de musique jouèrent-ils ? Consultez la page
L'hymne final ...

Deux semaines après le naufrage auquel aucun musicien ne survécut, les Frères Black poussèrent la cupidité jusqu'à réclamer aux veuves ou aux parents des disparus le remboursement de leurs uniformes, de leurs insignes et de leurs boutons (Lire le Nota 2).

Seuls les corps de Hartley, Clarke et Hume furent retrouvés par la navire-câblier Mackay-Bennett.
Ils étaient vêtus d'un pardessus et d'une écharpe, portaient une veste d'uniforme avec revers verts et gilet, et étaient chaussés de chaussettes vertes et de bottines noires. Hartley avait son porte-musique encore attaché à sa poitrine.
Clarke et Hume furent inhumés dans les cimetières de Halifax, en Nouvelle-Écosse: Hume, tombe N° 193, au cimetière de Fairview, et Clarke, tombe N° 202, au cimetière du Mont des Oliviers.
Le corps de Hartley fut rapatrié en Angleterre où il arriva à Liverpool à bord de l'
Arabic, le 12 Mai 1912. Il fut transporté sur un corbillard jusqu'à sa ville natale de Colne, dans le Lancashire.
La découverte du corps de Hartley souleva une extraordinaire émotion en Angleterre. Plus de 30 000 personnes assistèrent à ses obsèques et, en son honneur, plus de 500 musiciens donnèrent une audition au Royal Albert Hall de Londres, le 24 Mai 1912, en présence de plus de 10 000 spectateurs.

 

Témoignages sur la conduite des musiciens
au moment du naufrage

 

"Beaucoup d'actes de courage s'accomplirent cette nuit-là, mais aucun n'égala le cran de ces quelques hommes qui continuèrent à jouer minute après minute pendant que le navire s'enfonçait de plus en plus dans la mer dont le niveau s'élevait de plus en plus vers l'endroit où ils jouaient - la musique qu'ils interprétèrent leur servant autant d'inoubliable requiem que leur valant le droit imprescriptible d'être gravés à jamais sur les tablettes de la gloire éternelle."

Lawrence Beesley, passager de 2ème Classe

 

Pierre Maréchal

Le Français Pierre Maréchal, passager rescapé de 1ère Classe, apporta un très intéressant témoignage sur la conduite des musiciens de l'orchestre au moment du naufrage.

Il déclara au secrétaire Williams du Syndicat des Musiciens Réunis que les musiciens avaient reçu l'ordre de jouer sans s'arrêter, de façon à éviter la panique. Ils étaient situés sur le pont A. Pierre Maréchal remarqua notamment qu'aucun d'eux ne portait de gilet de sauvetage et il était convaincu qu'en leur donnant ces ordres, on avait sacrifié leur vie pour éviter le désordre à bord.
Il prit place dans le tout premier canot (N° 7) quittant le
Titanic et son observation des musiciens ne portant pas de gilet de sauvetage à ce moment est évocatrice.

 

Katherine Gold

Katherine Gold, Hôtesse de bord rescapée, remarqua cependant que, peu de temps avant qu'elle embarque dans l'un des derniers canots à quitter le navire (N° 11), la situation avait changé. Selon elle:

"Quand nous avons quitté le navire, des hommes étaient assis sur le pont A, fumant des cigarettes et tapant du pied en mesure avec la musique. Les passagers ainsi que les musiciens avaient leur gilet de sauvetage à côté d'eux et j'ai été particulièrement frappée en apercevant un violoniste jouant avec un gros gilet de sauvetage devant lui. A cet instant, la musique était du ragtime".

Il parait possible que les musiciens soient retournés sur le pont A avec leurs gilets de sauvetage et aient alors continué à jouer à l'endroit qu'ils avaient quitté. Auquel cas il reste aussi la possibilité que, dans la dernière demi-heure avant que le navire coule, les musiciens aient pu choisir de poursuivre leur répertoire avec des airs entraînants et s'y concentrer au lieu de jouer régulièrement des morceaux choisis inspirants ou déterminés pour insuffler du courage à ceux qui pourraient en tirer bénéfice.

 

Lawrence Beesley

Lawrence Beesley, passager de 2ème Classe rescapé à bord du canot N° 13, se souvint d'avoir vu un violoncelliste, à 0 h 20, se hâtant sur le pont des embarcations, la pointe de son instrument raclant le plancher. Il s'agissait probablement de Roger Bricoux.

 

Bertha Lehmann

Bertha Lehmann, passagère de 2ème Classe qui échappa au naufrage, peut-être à bord du canot N° 12, raconta qu'un musicien parlant français l'avait aidée à ajuster son gilet de sauvetage et conduite sur le pont des embarcations. Il s'agissait probablement, encore, de Roger Bricoux.

 

Algernon Henry Barkworth

Algernon Henry Barkworth, passager rescapé de 1ère Classe, qui fut l'un des derniers à abandonner le Titanic dans le radeau pliable B, apporta le témoignage suivant:

"Sans nullement chercher à minimiser le courage de qui que ce soit, je tiens à préciser que, lorsque je suis arrivé sur le pont, les musiciens jouaient une valse. La dernière fois où je suis repassé dans le coin, ils avaient posé leurs instruments et avaient disparu".

 

Archibald Gracie

Le Colonel Archibald Gracie, passager de 1ère Classe rescapé à bord du radeau pliable B, affirma avoir vu les musiciens ranger leurs instruments une demi-heure avant que le navire sombre.

 

Nota:

  1. Avant 1912, les musiciens des paquebots transatlantiques britanniques faisaient partie intégrante des équipages.
    Ils percevaient un salaire mensuel de 6 £ 10 s ainsi qu'une prime mensuelle de 10 s constituant une "indemnité d'uniforme".

    Fin 1911, les conditions changèrent lorsque les Frères Charles William et Frederick N. Black, agents artistiques à Liverpool, conclurent un accord avec les compagnies maritimes britanniques pour leur fournir des musiciens à un coût inférieur.

    De ce fait, les musiciens qui désiraient travailler sur les lignes transatlantiques étaient contraints de se faire embaucher par la compagnie Black Talent Agency appartenant aux Frères Black, qui les rémunérait seulement 4 £ par mois, et sans indemnité.

    En Mars 1912, les représentants du Syndicat des Musiciens Réunis rencontrèrent Joseph Bruce Ismay, Directeur Général de la White Star Line, pour tenter de négocier une augmentation.
    Selon eux, le shilling mensuel payé par les compagnies était insuffisant par rapport au minimum syndical.
    Ismay leur répondit que puisque les musiciens ne souhaitaient pas faire partie des équipages, la White Star Line les transporterait en tant que passagers de 2ème Classe. Cela impliquait que chaque fois qu'ils atteindraient un port américain, ils devraient se présenter devant les Fonctionnaires de l'Immigration avec la somme de 50 $ en argent liquide afin de démontrer qu'ils n'étaient pas sans ressources.

    C'est ainsi que les 8 musiciens du Titanic furent enregistrés au départ de Southampton comme passagers de 2ème Classe et qu'ils figurèrent sur la liste des passagers disparus après le naufrage.

    Le 4 Avril 1912, chacun d'eux reçut de la part de Messieurs J. J. Rayer et Fils, qui fournissaient les uniformes des orchestres des Frères Black, un uniforme à revers verts repassé et propre, des boutons aux armes de la White Star Line, des chaussettes vertes, et un insigne en forme de lyre (porté à la boutonnière). Chacun dut signer un reçu et fournir un témoin qui contresigna.

  2. Le 30 Avril 1912, le père de John "Jock" Hume reçut cette courte lettre de la part des Frères Black:

De: C. W. et F. N. Black, bureaux 14 Castle Street, Liverpool. Le 30 Avril 1912.
A: M. Hume, 42 George Street, Dumfries, N. B.

Cher Monsieur,

Veuillez avoir l'obligeance de nous remettre la somme de 5 shillings 4 pence qui nous est due comme vous le constaterez sur le document ci-joint. Nous vous serions également reconnaissants de bien vouloir régler la facture de frais d'uniforme ci-jointe.

Bien à vous.

C. W. & F. N. Black


Le montant total des sommes dues s'élevait à 14 shillings et 7 pence, dont les frais d'uniforme ainsi décomposés:

"S.S. Titanic, 4 Avril 1912.

Reçu de Messieurs J. J. Rayer et Fils les biens ci-dessous désignés. J'autorise par la présente Messieurs C. W. et F. N. Black à déduire de mon salaire les sommes suivantes:

Uniforme, col neuf: 2 shillings et 6 pence
Uniforme, nettoyé et repassé: 1 shilling et 6 pence
Uniforme, boutons de la White Star Line: 1 shilling
Gilet, boutons neufs à 9 shillings, nettoyé et repassé pour 6 pence: 1 shilling et 3 pence
Pantalon, nettoyé et repassé: 1 shilling
Petit emblème en forme de lyre: 2 shillings
TOTAL: 9 shillings et 3 pence.


Signé: John HUME, témoin: S. B. YEOMANS.

NB: vérifiez bien que les éléments de cette facture correspondent aux biens qui vous ont été confiés".