La construction du Titanic coûta 1,5 million de livres
sterling.
Pour assurer son dernier né, la White Star Line ne s'adressa pas à une compagnie
d'assurances proprement dite, mais à un intermédiaire, la Willis Faber & Company
Limited, dont l'origine remonte à 1828 et qui est encore aujourd'hui l'un des
plus importants intermédiaires au monde en matière de gestion de risques et
d'assurances.
Cette compagnie agit en tant que courtier pour le compte de plusieurs grandes compagnies d'assurances et de nombreux petits assureurs, prenant tous à leur charge une partie des risques à proportion du capital qu'ils assuraient. Chaque assureur s'engageait donc à financer la part du risque qu'il acceptait, dans l'intention de partager les profits constitués par les primes d'assurance mais aussi les pertes à assumer en cas de sinistre. C'est ce même système par répartition qui existe de nos jours.
Comme pour son jumeau l'Olympic, la White Star Line, par sa société mère International Mercantile Marine Company, assura le Titanic pour un capital de 1 million de livres. Ce montant couvrait le navire par lui-même, infrastructure et machinerie seulement, aux deux tiers de son coût total. Le dernier tiers (500 000 £), correspondant aux mobilier et équipements divers, fut pris en charge par la White Star elle-même qui réduisait ainsi le coût de son assurance. Ni la cargaison, ni les biens personnels transportés par les passagers, ne furent couverts par la compagnie maritime ou ses assureurs.
Début 1912, lorsque fut lancée la souscription, la Willis Faber & Co. Ltd. établit pour le Titanic une fiche d'assurance sur laquelle furent consignés la nature du bien assuré, les noms des grandes compagnies mais aussi tous ceux des petits assureurs, leurs signatures et les parts du capital assurées.
Extrait de la fiche d'assurance
établie par la Willis Faber & Co. Ltd.
Le taux de la prime d'assurance du Titanic fut établi à 0,75 % du capital, d'où une prime globale de 7500 £, montant paraissant dérisoire en comparaison de l'étendue du risque encouru. Il est évident que tous les assureurs étaient de ceux qui plaçaient leur confiance dans "l'insubmersibilité" du paquebot.
Le jour même de la souscription, 58 % du capital (soit 580 000 £) furent assurés par de grandes compagnies, et 22 % (soit 220 000 £) par divers autres assureurs. Il ne fallut que peu de temps pour que les 20 % restants soient couverts.
En tête de la liste, se trouvait la Commercial Union Assurance Company, prenant à sa charge un capital de 75 000 £. Parmi les assureurs les plus modestes, nombreux furent ceux qui contribuèrent à hauteur de 1000 £, voire de 500 £ (il leur revenait, dans ce cas, une prime de 3,75 £). Le Titanic fut enregistré à la Lloyd's Register of Shipping sous le numéro 131428.
Comme on le sait, le Titanic sombra, en plein Atlantique, le
Lundi 15 Avril 1912, à 2 h 20.
Le paquebot n'étant assuré qu'aux deux tiers de son coût, la White Star Line fut
soupçonnée d'avoir tenté de le réassurer immédiatement après qu'elle ait été
informée de la catastrophe, alors que celle-ci n'était pas encore officiellement
connue du public. La compagnie nia avoir eu cette intention, bien qu'un
incroyable télégramme ait pu le
laisser penser.
Dans le mois qui suivit, l'ensemble des assureurs remplit ses obligations et le
capital de 1 million de livres fut versé à la White Star Line. La compagnie
maritime ayant été indemnisée, intervint alors la notion de transfert de
propriété: l'épave, infrastructure et machinerie, appartenait désormais aux
assureurs.
La fiche d'assurance du Titanic montre que 7 grandes compagnies partageaient ensemble un capital de 380 000 £, les rendant ainsi propriétaires de 38 % de l'épave. Parmi elles, 3 compagnies, encore en activité aujourd'hui, avaient un droit de propriété de 22,5 %. Les 62 % restants revenaient à au moins 70 petites compagnies et petits participants, ces derniers pouvant représenter plus d'une centaine de personnes.
Personne, cependant, n'exerça ses droits légaux de propriété et, en
particulier, les 3 compagnies détenant les plus grosses parts se sont toujours
refusées à les faire valoir.
En revanche, il n'existe aucun document d'aucune sorte attestant que quiconque,
parmi les assureurs du Titanic, ait légalement fait acte d'abandon de sa
part de propriété de l'épave. Au cas contraire, cette part aurait été considérée
comme "res nullis", c'est-à-dire comme n'appartenant à personne.
La situation de l'épave est donc toujours en l'état: elle appartient à
l'ensemble des assureurs ou de leurs héritiers, bien qu'aucun n'a revendiqué sa
part ni n'en a fait acte d'abandon.
Dans ces conditions, une délicate question se pose: qui est propriétaire de quoi ou, autrement dit, quelle partie de l'épave revient à chacun ? Bien avisé est celui qui pourrait apporter la réponse … Si, comme on le constate, le fractionnement du capital assuré est complexe, l'épave du Titanic est une entité indivisible et on imagine aisément l'imbroglio juridique qui ne manquerait pas de se produire si tout ou partie des assureurs manifestait l'intention d'user de ses droits de propriété. D'autre part, retrouver aujourd'hui l'ensemble des héritiers d'une centaine de petits assureurs serait aujourd'hui une tâche quasiment irréalisable.
De même, la White Star Line n'exerça jamais son droit de propriété sur le mobilier et les équipements qu'elle assurait elle-même et n'en fit pas davantage acte d'abandon. La compagnie n'existe plus aujourd'hui: le 1er janvier 1934, la White Star Line fusionna avec sa rivale, la Cunard Line, pour constituer la Cunard White Star Line.
Après le naufrage, de nombreux rescapés, proches de victimes, hommes
d'affaires et entreprises, non couverts par une assurance, se retournèrent
contre la White Star Line et déposèrent, auprès des tribunaux américains, des
demandes d'indemnisation pour la perte de leurs parents, de leurs biens
personnels et de leurs marchandises. Le montant total de leurs demandes s'éleva
à 3 464 765 £ (16 804 112 $).
Les avocats des plaignants firent valoir que la négligence de la White Star line
était la cause de la catastrophe tandis que les avocats de la compagnie maritime
s'efforcèrent de prouver que la négligence n'avait exercé aucun rôle dans le
naufrage. La White Star Line introduisit, en outre, une instance en limitation
de responsabilité afin de se limiter financièrement au montant de son actif,
c'est-à-dire aux valeurs sauvées. Celles-ci comprenaient la valeur des 13 canots
de sauvetage récupérés par le Carpathia, celle du fret prépayé et celle
des billets payés par les passagers. Face au montant des indemnisations
réclamées, la White Star Line ne proposa ainsi que la somme dérisoire de 20 159
£ (97 772 $), soit 0,58 % du total réclamé.
Les négociations furent très longues et le 28 Juillet 1916, plus de 4 ans après
la tragédie et après qu'un accord fut enfin conclu entre les parties, le juge
Julius M. Mayer de la Cour Fédérale des États-Unis, à New York, signa le décret
mettant le point final à toutes les procédures. Le montant global des
indemnisations fut établi à 136 701 £ (663 000 $), à peine 4 % du total réclamé,
à répartir au prorata entre les plaignants.
Dès lors que les plaignants furent indemnisés par la White Star Line, la
propriété de leurs biens fut, de fait, transférée à la compagnie maritime qui,
comme dans le cas de l'épave, n'exerça jamais ses droits et ne fit jamais acte
d'abandon.
Quant aux non plaignants, leurs biens et marchandises perdus
demeurent toujours leur propriété ou celle de leurs héritiers, ou, s'ils étaient
assurés, la propriété de leurs compagnies d'assurances. Aucune déclaration
d'abandon de propriété n'a été formulée de leur part.
Par exemple, aucune assurance ne couvrait le chef d'œuvre que constituait la
somptueuse reliure de la copie des Rubaiyat, poèmes persans écrits par
Omar Khayyam au 11ème siècle, ornée de 1050 pierres précieuses, ainsi
que de la caisse de diamants appartenant à la compagnie minière De Beers.
Dans tous les cas, infrastructure et machinerie, mobilier et équipements divers du Titanic, biens des passagers, cargaison, et quels qu'en soient aujourd'hui les propriétaires, personne n'a revendiqué son droit de propriété ni ne l'a abandonné. Ce statu quo est cependant la situation la plus simple, puisqu'elle serait inextricable autrement, ce que nul n'ignore. Cela laisse malheureusement la porte ouverte à l'inacceptable: le pillage de l'épave et des objets disséminés à proximité, au fond de l'Atlantique. De nombreux exemples en témoignent. Outre le désastre que constitue le naufrage du Titanic, il en est aussi un autre: le désastre archéologique de son épave.
Notes: