L'iceberg "tueur" du Titanic

 

"Un seul iceberg reste présent à la mémoire des hommes. Et encore son histoire n'a-t-elle duré qu'une seule minute, le temps de surgir d'une nuit limpide dans l'Atlantique Ouest le 14 Avril 1912, déchirer le flanc du plus grand navire au monde, provoquer la perte de quelque mille cinq cents personnes et, au passage, ébranler la suffisance des nations civilisées. Cet iceberg, c'est celui du Titanic. L'émoi provoqué par cette catastrophe fut si grand qu'aujourd'hui encore, nous réprimons difficilement un frisson à la pensée de l'iceberg – ce démon glacé et capricieux, tapi dans la pénombre de l'Atlantique et prêt à se jeter sur le premier bateau venu."

Richard Brown,
Le Voyage de l'Iceberg

 


Le soir du 14 Avril 1912, la mer est calme et le ciel, sans lune, très noir bien que constellé d'étoiles. Dans ces conditions, les icebergs sont difficiles à détecter et n'apparaissent pas nécessairement blancs dans l'obscurité.
L'un d'eux s'est probablement retourné dans la mer, quelques heures auparavant. Sa partie souillée, maintenant émergée, le rend quasiment invisible.
A 23 h 40, l'un des deux veilleurs du nid-de-pie du
Titanic, Frederick Fleet, aperçoit une masse noire devant le navire et émergeant de 25 à 30 mètres. Ce ne peut être qu'une seule chose.
Il se précipite pour attraper la corde de la cloche et fait retentir celle-ci 3 fois, indiquant une présence sur l'avant.
Il empoigne le téléphone du nid-de-pie et alerte la passerelle: "Iceberg droit devant !".
C'est le début de la tragédie.
Rescapé du naufrage, il fera plusieurs croquis reproduisant sa première vision de l'iceberg, du haut du nid-de-pie, ainsi que l'impact du navire avec l'iceberg.

 


Croquis de l'apparition de l'iceberg fait par Frederick Fleet
(extrait de "Titanic, Triumph and Tragedy" de John P. Eaton et Charles A. Haas)

 


Croquis de l'impact fait par Frederick Fleet
(extrait de "Titanic, Triumph and Tragedy" de John P. Eaton et Charles A. Haas)

 

Au cours de ses témoignages auprès des Commissions d'Enquête Américaine puis Britannique, Frederick Fleet déclara, à propos de l'iceberg:
"
A première vue, il n'avait pas l'air très important, de la taille de deux tables posées côte à côte, mais il est devenu de plus en plus gros au fur et à mesure que nous nous en approchions. Quand nous l'avons longé, il était un peu plus haut que le gaillard d'avant, qui se trouvait à environ 15 mètres au-dessus du niveau de la mer. [...]
L'iceberg était haut de 15 à 18 mètres, sans toutefois atteindre la hauteur du nid-de-pie
".

 

A l'aide de plusieurs autres témoignages et illustrations, cette page tente de répondre à la question:

Quel iceberg a "tué" le Titanic ?

 

 

D'où venait l'iceberg "tueur" ?

L'origine et le trajet typiques d'un iceberg, tel que celui qui entra en collision avec le Titanic, sont décrites ici telles que données par Richard Brown (spécialiste canadien en biologie marine) dans son livre "Le voyage de L'ICEBERG" paru en 1984 aux Éditions Boréal Express.

Dans le fjord de Jakobshavn, à l'ouest du Groenland, le glacier descend à la vitesse de 22 mètres par jour et sa langue s'avance dans le fjord. Au rythme des marées, la glace se brise, créant un iceberg que le courant emporte vers la baie de Baffin.
A sa base, l'iceberg est noir, souillé par la poussière que le glacier a raclée en passant sur une veine de charbon dans les montagnes.

L'iceberg contourne la baie de Baffin puis descend peu à peu. Porté par le courant, il longe les côtes du Labrador puis est entraîné jusqu'aux Grands Bancs de Terre-Neuve.
Continuant sa dérive au cours de laquelle il se renverse plusieurs fois en raison de sa fonte progressive, l'iceberg est généralement entraîné par le Gulf Stream vers le nord-est, jusqu'à ce qu'il fonde bien avant qu'il n'atteigne les Grands Bancs.

Cependant, en 1912, les retours de courant du Gulf Stream emportèrent un grand nombre d'icebergs vers le sud, en suivant des routes inhabituelles vers les Bermudes et les Açores.
C'est en atteignant la zone des Grands Bancs que l'iceberg "tueur" rencontra le
Titanic. Sa face immergée au départ du fjord de Jakobshavn, environ 18 mois auparavant, se trouvait alors au-dessus, avec sa tache noire de charbon gelé.
Porté ensuite par le courant chaud du Gulf Stream qui accéléra sa fonte, il disparut probablement dans la mer des Sargasses.

 


Trajet possible de l'iceberg "tueur"

 

L'iceberg vu du Titanic

 

 

 

 


Croquis fait de mémoire par Joseph Scarrott, marin du Titanic

 

Rescapé du naufrage dans le canot de sauvetage N°14, il établira ensuite, de mémoire, un croquis de l'iceberg où l'on peut voir une forme très caractéristique: 2 pics avec une légère remontée au centre ainsi qu'une pente raide plongeant dans l'eau à chaque extrémité.

Au cours de son témoignage auprès de la Commission Britannique d'Enquête qui suivit le naufrage, Joseph Scarrott fera les déclarations suivantes, relatives à la forme de l'iceberg:

"
Eh bien, ce qui m'a frappé à ce moment, c'est qu'il ressemblait au Rocher de Gibraltar lorsqu'on le regarde de la Pointe de l'Europe. Il semblait avoir exactement le même forme, en seulement beaucoup plus petit."

Alors que le Commissaire d'Enquête lui demandait si l'iceberg ressemblait à un lion couché, Scarrott répondit:

"
En approchant de Gibraltar, il paraissait avoir cette forme-là. Le point le plus élevé se serait trouvé à ma droite, c'est ce qu'il m'a semblé."

On verra, par la suite, par
comparaison avec la photographie prise à bord du Bremen et celle du Rocher, l'importance de ces déclarations.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



La séquence du naufrage dessinée par Lewis Palmer Skidmore d'après les souvenirs de Jack Thayer

 

Sur le premier de la série des 6 dessins, montrant le choc du Titanic contre l'iceberg, on voit distinctement que celui-ci possède 2 grands pics, semblables à ceux représentés par Scarrott.

 

 

D'autres témoins oculaires, à bord du Titanic, confirment ces descriptions générales de l'iceberg "tueur", certains le décrivent même comme étant de forme semblable au Rocher de Gibraltar.
Après le naufrage, des croquis et photographies ont été faits à bord de divers navires, au voisinage du site de la catastrophe.
Parmi ces représentations, certaines correspondent-elles à l'iceberg "tueur" vu du
Titanic ?

 

L'iceberg vu des canots de sauvetage

 

L'iceberg vu du Carpathia

 


Croquis fait par Colin Campbell Cooper à bord du Carpathia
(extrait de "Titanic, Triumph and Tragedy" de John P. Eaton et Charles A. Haas)

 

Sur l'une des gouaches, l'iceberg est peint sous une perspective rapprochée. On distingue très nettement 2 grands pics, comme sur le croquis de Scarrott, mais la remontée que Scarrott a représentée au milieu, est peinte sur la droite du pic le plus important.
Il apparaît un détail supplémentaire: Cooper a esquissé, sur le devant et à l'extrême droite de l'iceberg, une partie abrupte correspondant à la zone ébréchée lors du choc.

 


Iceberg représenté par Colin Campbell Cooper
sur l'une des trois gouaches représentant le
Carpathia approchant l'iceberg

 

Puisque les naufragés du Titanic étaient en alors sécurité à bord du Carpathia, ou sur le point de l'être, on peut supposer que l'annonce d'une toute nouvelle et toute proche rencontre avec l'iceberg fatal, identifié par des témoins oculaires, se soit répandue sur le Carpathia comme une traînée de poudre.
Cooper se serait alors précipité sur son matériel de dessin et aurait reproduit le moment historique sur ses gouaches.

En revanche, d'autres personnes, se basant sur le fait que le
Carpathia n'a récupéré des survivants qu'assez loin au sud du site de la collision, contestent le fait que Cooper ait réalisé un croquis sur le vif et penchent plutôt pour une réalisation faite d'après les souvenirs des rescapés, ce qui expliquerait sa ressemblance avec celui de Scarrott.

 

 

L'iceberg vu du Bremen

Le 20 Avril 1912, le paquebot allemand Bremen, qui fait route de Bremerhaven à New York, passe sur les lieux du naufrage. Les personnes à bord peuvent voir des débris et plus d'une centaine de corps flottant sur l'océan. Qui plus est, on aperçoit un iceberg à proximité, lequel semble correspondre à la description de l'iceberg "Titanic". Le Bremen, ayant été informé que le Mackay-Bennett venait d'être affrété pour retrouver les victimes, ne met cependant pas en œuvre le plan de récupération qu'il a établi.

A bord du
Bremen, l'homme d'équipage tchèque Stephan Rehorek (1888-1935), boucher et cuisinier du navire, est témoin des horribles conséquences de la tragédie et prend deux photographies de deux icebergs différents.
A son arrivée à New York, Rehorek adresse à ses parents une carte postale représentant le
Titanic et dans laquelle il évoque son naufrage. Il dit notamment:
"
J'ai une photographie de l'iceberg et je vous l'enverrai [...] J'ai aussi vu les corps de noyés et des débris du navire. C'était un terrible spectacle".

A son arrivée à New York, Rehorek fait imprimer ses photographies sur des cartes postales. Quelques semaines plus tard, lors d'une escale à Cherbourg pendant le voyage de retour, Rehorek envoie à ses parents une carte representant la plus belle vue, en leur écrivant:
"
Cette carte est une vue de l'iceberg qui a heurté et fait couler le paquebot Titanic".

 


Iceberg photographié par Stephan Rehorek
sur le
Bremen, le 20 Avril 1912
Copyright by Henning Pfeifer (Germany)

 

La ressemblance entre l'iceberg photographié par Rehorek et la gouache de Cooper est frappante; de plus, la photographie ne montre pas seulement l'iceberg fatal mais aussi, semble-t-il, l'endroit où la glace est écaillée: on peut distinguer une arête tranchante sur le côté droit qui aurait été raclé par le Titanic.
L'iceberg de la photographie de Rehorek et celui de la gouache de Cooper correspondent donc bien.

Un élément supplémentaire vient conforter cette théorie: la comparaison d'un détail du croquis original fait par Cooper sur le Bremenet d'un autre détail de la photographie prise par Rehorek sur le Bremen.

 


Détail des icebergs représentés:
à gauche, sur le croquis fait par Cooper;
à droite, sur photographie prise par Rehorek

 

On ne peut que remarquer la similitude de la forme des pics ainsi que celle de leurs parties brisées, à l'avant.
De plus, on remarque qu'à la partie inférieure, Cooper a dessiné une zone où une partie de l'iceberg a été arrachée.

Si l'on compare maintenant la forme globale de l'iceberg photographié par Rehorek à celle du Rocher de Gibraltar, on obtient:

 


L'iceberg photographié par Stephan Rehorek sur le Bremen, le 20 Avril 1912,
et vue ancienne du Rocher de Gibraltar, prise depuis la Baie
Copyright by Henning Pfeifer (Germany)

 

Le résultat de la comparaison par l'image, associé aux déclarations de Joseph Scarrott, est particulièrement étonnant.
Sur la photographie de droite, qui est la vue du Rocher obtenue depuis la Baie lorsqu'on se dirige vers le port, on observe nettement la forme de lion couché du Rocher. C'est cet angle de vue que le Commissaire d'Enquête suggéra à Joseph Scarrott lors de son témoignage. Mais Scarrott répondit qu'il avait vu le pic le plus élevé sur la droite comme on peut l'observer sur la photographie de gauche prise par Stephan Rehorek.
Le hasard a fait en sorte que Scarrott et Rehorek virent tous les deux un iceberg sous le même angle. De plus, la silhouette de celui photographié par Rehorek correspond exactement à celle du lion couché, mais de manière inversée.

 

L'iceberg vu du Prinz Adalbert

Le 15 Avril 1912 au matin, non loin du lieu de la tragédie, le paquebot allemand Prinz Adalbert passe à côté d'un iceberg portant des traces de peinture rouge à sa base.
Le Chef Steward prend plusieurs photographies, par simple curiosité des marques inhabituelles de peinture rouge. Ce n'est que plus tard que l'équipage du
Prinz Adalbert apprend que le Titanic, dont la coque était revêtue de peinture rouge sous la ligne de flottaison, était entré en collision avec un iceberg. Cela placerait donc cet iceberg au rang des "principaux suspects".

 


Iceberg photographié par le Chef Steward
du
Prinz Adalbert, le 15 Avril 1912

 

On sait aujourd'hui que la position du Titanic signalée dans ses appels de détresse était située à 13,7 milles au nord-ouest du site réel du naufrage (site où l'épave a été découverte).
Si l'on a dit que cet iceberg a été photographié parce qu'il portait une longue et inhabituelle traînée rouge, en revanche, personne n'a alors remarqué, à son voisinage, de corps ou de débris flottants.

Il est permis de s'étonner de l'enchaînement fortuit de circonstances, qui a fait qu'un steward se trouve sur le pont, s'équipe d'un appareil photo, alors que le navire fait route devant l'iceberg. Il est peu probable qu'il ait eu assez de temps pour voir l'iceberg, descendre chercher un appareil photo, remonter sur le pont et prendre un instantané. Et il est encore moins probable que le Commandant d'un transatlantique ait fait machine arrière afin qu'un membre de son équipage puisse prendre une photographie de l'iceberg, ce qui aurait été pour le moins inhabituel.
Un détail supplémentaire: au moment où la photographie a été prise, l'équipage du
Prinz Adalbert n'était, semble-t-il, pas encore informé du naufrage.

Pourtant, si l'on imagine cet iceberg sous un autre angle de vue, sa forme générale pourrait ressembler au croquis établi par Joseph Scarrott.
Le doute subsiste cependant sur deux points: malgré les récits des témoins oculaires, rien sur la photographie prise par le
Prinz Adalbert ne montre un l'impact de choc violent ni la présence de traces de peinture.
On sait, en effet, que le
Titanic a arraché de gros morceaux de glace à l'iceberg et n'a pas laissé que quelques balafres de peinture rouge.

Nota: La peinture rouge anti-attachement (destinée à éviter la fixation des coquillages et des organismes marins et, par conséquent, à éviter une augmentation de la consommation d'énergie du navire) revêtant la coque du Titanic dépassait légèrement le niveau de la ligne de flottaison.
D'autre part, le choc contre l'iceberg provoqua une légère gîte du navire sur bâbord, élevant d'autant le niveau de la peinture au-dessus de l'eau, côté tribord.
L'iceberg ayant perdu, aux dires des passagers témoins, "des tonnes de glace", sa perte de masse fit en sorte que sa propre ligne de flottaison s'éleva.
Tout ceci tend à prouver que le
Titanic a très certainement laissé des traces de peinture sur l'iceberg qu'il a heurté.

 

L'iceberg vu du Mackay-Bennett

 

 
Iceberg photographié par F.H. Larnder, Commandant du Mackay-Bennett

 

Le 21 Avril 1912, le Mackay-Bennett commence ses opérations aux coordonnées fournies par le Bremen et le Rhein, qui ont repéré d'importants groupes de corps flottant respectivement à 42° 20' N - 49° 20' O et 42° 01' N - 49° 13' O, pendant la semaine suivant le naufrage. Ces emplacements sont situés respectivement à 32 et 37 milles du lieu où se trouvent actuellement les chaudières, lequel peut raisonnablement être considéré comme l'épicentre du désastre. Plus de 300 corps seront retrouvés dans cette zone, ainsi qu'un nombre considérable de débris provenant de l'épave.

La photographie ne permet cependant pas d'identifier de traces de raclement de la glace et, d'autre part, ne présente pas de ressemblance significative avec les croquis.

 

 

Conclusion

La comparaison des différentes représentations de l'iceberg supposé être le "tueur" (photographies et croquis) associées aux témoignages oraux est un exercice difficile:

 

Le tableau récapitulatif suivant fait le bilan des témoignages:

 Critère / Témoignage

Témoins
Titanic

Témoins
Carpathia

Témoins
Bremen

Témoins
Prinz Adalbert

Témoins
Mackay-Bennett

Hauteur

30 m
(généralement)

75 m

?

?

30 m

Traces
de peinture

 Très certaines,
dues au choc

?

?

oui

?

Présence
de corps et débris

 Due au naufrage

oui

oui

non

oui

Pics apparents

2 + 1

2

2

1 + 2

non

Forme
Rocher de Gibraltar
oui oui ? ? ?

Arrachements
de glace

oui

oui

oui

oui

?

 

En effectuant la seule comparaison des illustrations de l'iceberg provenant des témoignages, il est assez difficile d'apporter une conclusion.

Pourtant, si l'on prend pour hypothèse que la référence est l'iceberg "tueur" vu par les témoins du
Titanic, qui sont, il convient de le souligner, des témoins oculaires directs, et en particulier celui dessiné par Joseph Scarrott, on peut néanmoins dire que, en raison de sa forme et des traces de peinture, l'iceberg vu par le Prinz Adalbert, est assez semblable à ce "tueur" et que celui vu par le Bremen, qui présente aussi une forme similaire et à proximité duquel on a vu des corps et des débris, pourrait bien aussi être ce "tueur" (Stephan Rehorek n'a peut-être pas été à même de constater la présence de traces de peinture); ces 3 icebergs étant peut-être tous le même.

Sa taille exacte ne sera probablement jamais connue; ses dimensions généralement admises sont 15 à 30 m de haut et 60 à 120 m de long.

Mais, et c'est certainement là l'élément majeur, en associant les témoignages oraux de Joseph Scarrott et Charles Stengel à la comparaison des silhouettes de l'iceberg photographié par Stephan Rehorek et du Rocher de Gibraltar, on a alors la preuve de la similitude.

Pour conclure, on peut affirmer que l'iceberg "tueur" vu par Scarrott et remarqué par Stengel est aussi celui que Stephan Rehorek a photographié à bord du Bremen, 5 jours plus tard.

 

Au lecteur d'apprécier et de commenter cette conclusion ...

 

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