Les Postiers du Titanic

 

Au début du XXème siècle, la plupart des compagnies maritimes tiraient une partie de leurs revenus des contrats de transport de courrier qu'elles concluaient avec les services postaux des pays qu'elles desservaient. Elles n'étaient cependant pas autorisées à charger du courrier sur des navires ne pouvant atteindre la vitesse de 16 noeuds. En 1897, l'American Line percevait un forfait de 14 000 dollars par traversée, tandis que la White Star Line et la Cunard Line étaient rétribuées au prorata du poids du courrier.

Ces services mettaient à la disposition des compagnies des employés très expérimentés qu'ils rémunéraient eux-mêmes (environ 1 200 $ annuels pour un postier américain) et qui étaient capables de trier couramment 60 000 lettres par jour.

Le courrier était trié à bord des paquebots afin de le rendre prêt à être acheminé, dans les plus brefs délais, aux destinataires ou aux centres de transit. Outre le tri, la mission des postiers comprenait la protection du courrier, fusse au péril de leur vie.

Il en était ainsi de la White Star Line, à bord du Royal Mail Steamer (Paquebot Courrier Royal) Titanic où 5 postiers étaient affectés.

 

 

Le courrier

Pendant sa traversée transatlantique, le Titanic transportait 3364 sacs postaux à destination des États-Unis, du Canada et de certaines villes d'Amérique Centrale et d'Amérique du Sud, et pesant plus de 50 kg chacun. Ce total comprenait:

Ces sacs contenaient au total environ 200 000 journaux et magazines ainsi que 400 000 lettres et cartes postales, auxquelles venaient s'ajouter celles écrites à bord par les passagers et déposées dans les boîtes à lettres du bord.
Parmi eux, 200 sacs contenaient 3000 courriers recommandés dont la valeur n'était pas déclarée.

On estime que le Titanic transportait aussi entre 700 et 800 colis.

Les Postes britanniques n'assuraient pas le courrier à destination de l'Amérique et du Canada.

 


A Queenstown, chargement de la poste
arrivée par le train "American Mail Special" en provenance de Cork

 

Lors du tri, les postiers apposaient, sur le courrier, le cachet "Transatlantic Post Office" accompagné du numéro 7, identifiant le Titanic, mais ce numéro était en fait attribué à l'équipe postale elle-même.
Si, par malheur, un postier venait à disparaître dans un naufrage, ce numéro n'était pas réattribué.
Les services postaux de Southampton disposaient de 11 numéros.

 

Les installations postales

Les installations postales du Titanic étaient situées dans le 4ème compartiment avant, à tribord, et comprenaient une salle de tri, l'une des mieux équipée de l'époque, située sur le pont G, ainsi qu'une cale postale située directement en dessous, sur le pont Orlop (ou faux-pont).
La salle de tri était aussi équipée d'un compartiment protégé pour le tri d'environ 200 sacs de courrier recommandé.

Les 2 étages étaient reliés entre eux par un très large escalier qui conduisait ensuite au pont F et ainsi de suite jusqu'en haut.

 


Implantation des installations postales (en rouge)

 


Intérieur d'une salle typique de tri du courrier

 


Salle de tri à bord d'un paquebot de l'époque

 

Les postiers

Le groupe de 5 postiers affectés sur le Titanic était composé d'américains et de britanniques:

Ces 5 hommes qui, comme les musiciens de l'orchestre de bord, ne faisaient pas partie du personnel de la White Star Line, prirent leur service le 9 Avril 1912 à Southampton, la veille du départ du Titanic.
Ils étaient logés dans des cabines situées parmi celles des passagers de 3
ème Classe, sur le pont F.

 

A gauche: William Logan Gwinn et John Starr March
Au centre: John Richard Jago Smith
A droite: James Bertram Williamson et Oscar Scott Woody

 

Les 3 postiers américains du Titanic, comme leurs collègues habilités à travailler à bord des paquebots transatlantiques, étaient porteurs d'un insigne sur lequel étaient gravées les inscriptions "POST OFFICE DEPARTMENT" et "SEA POST SERVICE" autour des lettres "US" entrelacées.

 


Insigne des postiers américains
en service maritime

 

John Starr March, William Logan Gwinn et d'autres postiers britanniques, s'étaient déjà plaints de leurs conditions d'hébergement alors qu'ils travaillaient à bord de l'Olympic et avaient obtenu la garantie que d'autres cabines leur seraient allouées. Ils avaient aussi demandé l'autorisation de prendre leurs repas dans la salle à manger des passagers, car le mess qui leur était attribué n'était pas isolé de la salle à manger contiguë des valets et des femmes de chambre, mais ceci leur avait été refusé. La nouvelle attribution des cabines n'ayant été décidée que le 11 Avril, elle n'avait évidemment pas pu être mise en oeuvre avant le départ du Titanic. Les postiers durent donc, comme sur l'Olympic, supporter les conversations très bruyantes des passagers de 3ème Classe, même pendant les heures dites calmes, ainsi que leurs chants et le bruit de leurs instruments de musique.

 

La nuit du naufrage

Vers 23 h 50, soit 10 minutes à peine après la collision avec l'iceberg, des dégâts importants s'étaient produits dans les compartiments avant du navire.

Lorsque les postiers virent l'eau entrer par le bas, sur le pont Orlop, ils entreprirent de monter les 200 sacs de courrier recommandé à la salle de tri; ils auraient pu s'épargner tout ce travail, car au bout de 5 minutes, ils avaient de l'eau jusqu'aux genoux, et en un rien de temps, l'eau leur montait jusqu'à la salle de tri. Du coup, ils abandonnèrent les sacs et montèrent plus haut, sur le pont F. John Richard Jago Smith laissa ses camarades et partit prévenir le 4ème Officier Boxhall que la salle de tri prenait l'eau rapidement. Boxhall lui demanda d'en référer au Commandant Smith, pendant qu'il irait se rendre compte par lui-même. Le postier Smith rejoignit ensuite ses collègues mais, alors que 20 minutes à peine s'étaient écoulées depuis la collision, la salle de tri, sur le pont G, était déjà dans 60 cm d'eau et allait bientôt être complètement inondée. Les postiers tentèrent alors de monter ce qu'ils purent sur le pont D dans l'espoir que les sacs pourraient être entreposés dans l'entrée de 1ère Classe, mais cet espoir s'avéra vain.

En haut de l'escalier, ils trouvèrent un couple qui était en train de les regarder. Il s'agissait de M. et Mme Norman Campbell Chambers, un ingénieur de New York et son épouse, qui avaient été attirés par le bruit alors qu'ils retournaient dans leur cabine (E-108, 1ère Classe), après avoir été, sans résultat du reste, aux nouvelles sur le pont promenade. Ils restèrent tous ensemble là un bon moment à regarder les sacs qui flottaient sur l'eau, à faire des plaisanteries sur tout ce qu'il pouvait y avoir dans ces lettres et que personne ne lirait jamais.

D'autres personnes qui passaient se joignirent à leur petit groupe: le 4ème Officier Boxhall, l'assistant du 2ème Steward Wheat, un moment même le Commandant Smith. Mais à aucun moment le spectacle de l'inondation n'inquiéta les Chambers.

 

Que sont-ils devenus ?

Alfred Theissinger, Steward de cabine et rescapé dans le canot n° 11 fut, le dernier, à voir les postiers vivants. Il déclara:
"Je les ai pressés de quitter leur travail. Ils ont hoché la tête et ont continué à travailler. Il y a dû se produire plus tard une irruption d'eau qui les a empêchés de s'échapper, ou c'est peut-être l'explosion. Je ne les ai plus revus".
 

Les 5 postiers du Titanic, après avoir tenté de faire tout leur devoir, ne cherchèrent pas à prendre place à bord des canots de sauvetage et furent victimes du naufrage.

 

William Logan Gwinn

William Logan Gwinn, 37 ans, américain, surnommé "Will", avait travaillé 6 ans comme employé au tri dans la Section Courrier Étranger de la poste new-yorkaise.

Gwinn devait travailler à bord du Philadelphia, mais ayant appris que son épouse était malade, il demanda à être affecté à une traversée ultérieure. Il pouvait ainsi rentrer chez lui et fut transférer sur le Titanic.
On le vit pour la dernière fois à côté du Commissaire de bord Herbert McElroy, sur le pont des embarcations.
Il disparut dans le naufrage et son corps, s'il fut retrouvé, ne fut jamais identifié.

 John Starr March

John Starr March, 48 ans, le plus âgé des 5 postiers, avait 15 ans d'expérience dans le Service Postal Ferroviaire des États-Unis et avait ensuite poursuivi, pendant 8 ans, sa carrière dans la marine marchande où il avait déjà affronté des situations d'urgence.
Marié et père de 2 filles, son épouse était décédée pendant une opération chirurgicale en Juin 1911.
Il avait auparavant servi sur l'
Olympic et le Kaiser Wilhelm der Grosse, sa dernière affectation. Ses 2 filles adultes l'enjoignaient constamment de chercher un travail présentant moins de risques mais March, accoutumé à la mer, refusa d'abandonner ses grandes traversées et assura ses filles qu'il ne disparaîtrait jamais en mer.
Il trouva la mort dans le naufrage du
Titanic et son corps (n° 225) fut retrouvé par le navire câblier Mackay-Bennett puis rendu à sa famille.

 John Richard Jago Smith

John Richard Jago Smith, 35ans, célibataire, britannique, était employé par la Poste Britannique depuis l'âge de 22 ans. Il avait été affecté pendant 11 ans à Southampton, sur les paquebots poste.
Il disparut dans le naufrage et son corps, s'il fut retrouvé, ne fut jamais identifié.

 James Bertram Williamson

James Bertram Williamson, 35 ans, célibataire, britannique, disparut dans le naufrage.
Son corps, s'il fut retrouvé, ne fut jamais identifié.

 Oscar Scott Woody

Oscar Scott Woody, américain, aurait dû fêter son 44ème anniversaire le 15 Avril, jour du naufrage.
Il avait 15 ans d'expérience dans le Service Postal Ferroviaire.
Il trouva la mort dans le naufrage et son corps (n° 167) fut retrouvé par le navire câblier
Mackay-Bennett puis rejeté à la mer.

Lors de la découverte de son corps, on s'aperçut que Woody portait, dans sa poche de poitrine, plusieurs étiquettes devant identifier des paquets de courrier regroupé qu'il avait lui-même trié ou qu'il était sur le point de trier.

 


Étiquettes de regroupement de courrier établies par Oscar Scott Woody

 

Ces étiquettes, pré-imprimées par les services postaux américains, mentionnent la destination du courrier regroupé, le cachet "TITANIC" indiquant le lieu du tri, le cachet au nom de Woody identifiant le postier responsable du tri, et un cachet circulaire sur lequel on peut lire "TRANSATLANTIC POST OFFICE 7" ainsi que la date du 10 Avril 1912, date du départ du navire de Southampton. Sur la seconde étiquette, le chiffre manuscrit "2" indique que le paquet, déjà trié, contenait 2 lettres.
Woody emporta très certainement ces étiquettes avec lui dans l'intention de terminer ultérieurement son travail. Malheureusement, le sort en décida autrement.

 

Après le naufrage

Après le naufrage, Mr Morgan, Directeur des Postes de New York, déclara:
"Pour un chargement de 3500 sacs, il est raisonnable d'estimer que 200 contenaient du courrier recommandé. La taille des colis postaux est très variable, mais 1000 colis par sac devrait être une estimation convenable. Cela signifie que 200 000 colis et lettres recommandés ont coulé avec le Titanic. Cela ne veut pas dire, cependant, que la Grande-Bretagne sera tenue pour financièrement responsable de toutes ces pertes. Il y avait probablement des milliers de colis provenant du Continent et, dans pareil cas, les pays d'origine doivent rembourser les expéditeurs. De plus, en cas d'argent envoyé en grande quantité, il est d'usage d'assurer son enregistrement au-delà de la limite de responsabilité fixée par le pays d'origine".
"S'il y avait vraisemblablement des envois de fonds s'élevant à plusieurs milliers de dollars, ce seront les compagnies d'assurance qui supporteront la perte, et non les postes européennes".
"En cas de mandats postaux, il n'y aura pas de perte, excepté de temps, car des duplicata seront rapidement et gratuitement envoyés".
Morgan déclara "ignorer les montants exacts que les divers pays européens avaient fixés comme limite de leur garantie pour le courrier recommandé. En Amérique, elle est de 50 $".
 

Le gouvernement des États-Unis ne réclama que 41,04 $ d'indemnisation pour le courrier recommandé perdu (l'une des plus faibles demandes).

Après le naufrage, le numéro 7, affecté à l'équipe postale du Titanic, ne fut jamais réattribué.

 

Le R.M.S. Titanic

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