17 Avril 1912
18 h 50 - Avons chargé une provision de
glace et un grand nombre de cercueils, quitté
l'appontement pour faire route vers la position du désastre
du Titanic.
Le Révérend Canon Hind de la Cathédrale "All
Saints", Halifax, accompagne l'expédition; nous
avons aussi à bord un expert embaumeur. Temps froid
et clair.
19 Avril
Le beau temps qui a régné jusqu'à
maintenant a tourné à la pluie et au brouillard.
Aujourd'hui, nous avons parlé par radio au Royal
Edward; il à l'Est de nous, et
a signalé des icebergs et des growlers (morceaux de
glace, certains de taille importante).
18 h 00 - Brouillard très dense, canot
mis à la mer, récupéré un gilet de sauvetage de
l'Allan Line.
20 Avril
Forte brise de Sud-Ouest, houle par le
travers et mer ondulée. Paquebot français Rochambeau
près de nous, la nuit dernière, a signalé des
icebergs, et le Royal Edward
en a signalé un à 30 milles à l'Est de la position
du Titanic.
Le Rhein
nous a croisé cet après-midi, et a signalé avoir
vu des icebergs, des débris et des corps, à 17 h 50.
Le Bremen
nous a croisé de près; il a signalé avoir vu, une
heure et demie avant, des corps, etc. C'est à dire
à environ vingt-cinq milles à l'Est.
19 h 00 - Un gros iceberg, à peine
visible sur notre Nord, nous sommes maintenant très
près de la zone où s'étendent les ruines de tant
d'espérances humaines et de prières. L'embaumeur
devient de plus en plus joyeux à mesure que nous
approchons de la scène de ses futures activités
professionnelles, demain sera une bonne journée pour
lui. La température de la mer aujourd'hui à midi était
de 14°C, et vers 16 h 00 elle était de 0°C.
21 Avril
Deux icebergs maintenant nettement en vue,
le plus proche fait plus d'une trentaine de mètres
à son pic le plus élevé et sa vue est
impressionnante, une robuste masse de glace contre
laquelle la mer se brise furieusement, lançant un
geyser tel des colonnes de mousse, bien plus haut que
le sommet le plus élevé, inondant parfois complètement
l'énorme masse d'une cascade d'écume comme s'il déversait
de la neige et se brisait en crêtes duveteuses sur
la surface brillante de l'iceberg, faisant étinceler
comme un immeuble féérique, et osciller de 20 à 30
degrés par rapport à la verticale, la montagne de
glace tout entière. L'océan est recouvert de déchets
de boiseries, de chaises, de corps et il y a
plusieurs growlers environnants, tous plus ou moins
dangereux, car ils sont souvent cachés par la houle.
Le canot a été mis à la mer et le travail a
commencé et s'est poursuivi sans arrêt toute la
journée, récupérant des corps. Tirer par-dessus
les flancs du canot des cadavres gorgés d'eau aux vêtements
trempés n'est pas une mince affaire. Aujourd'hui
nous en avons ramené à bord cinquante et un, deux
enfants, trois femmes et quarante-six hommes, et la
mer en paraissait toujours jonchée. A l'exception de
nous-mêmes, la sterne est ici la seule créature
vivante.
17 h 00 - Les deux icebergs sont
maintenant passés; la forte houle n'a pas cessé de
la journée, il doit y avoir un coup de vent quelque
part.
20 h 00 - La sonnerie de la cloche a appelé
tous les hommes sur le gaillard d'avant où trente
corps sont prêts à être confiés aux profondeurs,
chacun soigneusement lesté et soigneusement cousu
dans de la toile à voiles. C'est une scène étrange,
ce rassemblement. Le croissant de lune répand sur
nous une faible lumière, alors que le bateau est
ballotté sur les fortes lames. Le service funèbre
est conduit par le Révérend Canon Hind; pendant près
d'une heure les mots "Comme
il a plu à Dieu tout puissant ... nous confions ce
corps à la mer" sont répétés
et à chaque intervalle, plouf ! alors que le corps
lesté plonge dans la mer, pour sombrer à une
profondeur d'environ deux milles. Plouf, plouf, plouf.
22 Avril
Aujourd'hui, nous avons dépassé de très
près l'iceberg et essayé de le photographier, mais
la pluie s'est mise à tomber et nous pensons que les
résultats ne seront pas satisfaisants. Nous nous
trouvons maintenant à l'Est au milieu d'un grand
nombre de débris. Le canot a été mis à la mer
pour examiner une embarcation de sauvetage, mais il
est trop fracassé pour distinguer quelque chose, même
le nom n'est pas visible. Tout autour, on trouve des
fragments de boiseries, de mobilier de cabines, de
devants de tiroirs en acajou, de sculptures, tous
arrachés de leurs attaches, des chaises de pont, et
puis encore d'autres corps. Certains se trouvent à
une distance de 15 milles de ceux récupérés hier.
20 h 00 - Un autre service funèbre.
23 Avril
Icebergs et growlers toujours en vue. Deux
canots occupés toute la journée à récupérer des
corps, pluie et brouillard tout l'après-midi,
brouillard parfois très dense.
19 h 00 - Le bateau Sardinia
de l'Allen Line s'est arrêté près de nous et
emporté les dépêches mises dans notre canot. Le
brouillard s'était légèrement levé, mais se
referme plus dense que jamais, peu après qu'il ait
signalé "bonne nuit" avec son fanal.
24 Avril
Il règne toujours un brouillard dense,
rendant de nouvelles opérations avec les canots
presque impossibles. Nous avons appris que le Sardinia
est en attente à quelques trente milles.
Midi - Tenue d'un autre service funèbre,
et soixante-dix-sept corps suivent les autres. Le son
rauque du sifflet à vapeur résonne à travers le
brouillard, le gréement ruisselant, et la mer
fantomatique, les tas des morts, et les durs visages
hâlés de l'équipage, dont les voix rudes se
joignent avec compassion avec à l'hymne mélodieusement
interprété par Canon Hind; tout concourt à rendre
une tâche étrange encore plus étrange. Dans le
froid, l'humidité, la détresse et l'inconfort, tous
les hommes se tiennent en équilibre contre le fort
roulis du bateau alors qu'il fait une embardée dans
la houle de l'Atlantique, et même les plus endurcis
se doivent de méditer sur les espoirs et les
craintes, la consternation et le désespoir, de ceux
dont les êtres les plus proches et les plus chers,
qu'ils soutiennent et dont ils sont fiers, leur ont
été arrachés par cette tragédie.
26 Avril
Aujourd'hui, le Minia
nous a rejoints pour le travail de récupération, et
stationne à deux milles à l'Ouest de nous. Sa première
découverte, à ce que nous avons entendu, a été le
corps de Mr Hayes, le Président de Grand Trunk. A
midi, nous avons fait route vers lui et envoyé le
canot chercher du matériel, et avons mis aussitôt
après le cap sur Halifax. Le nombre total de corps récupérés
par nous est de trois cent cinq, cent seize ont été
rejetés à la mer. Une grande quantité d'argent et
de bijoux a été retrouvée, l'identification de la
plupart des corps a été effectuée, et les
renseignements préparés pour être communiqués.
Cela a été une tâche ardue pour ceux qui ont dû
examiner et s'occuper des cadavres, de la recherche,
de la numérotation, et de l'identification de chaque
corps, déposant les objets trouvés sur chacun dans
un sac marqué d'un numéro correspondant à celui
attaché au corps; le coudre dans de la toile à
voiles et lui fixer des poids, nécessitait un
travail long et patient. L'embaumeur est le seul
homme pour qui le travail est agréable, je peux
ajouter sans exagération, joyeux, car pour lui c'est
un travail d'amour, et la fierté du travail bien
fait.
30 Avril
8 h 25 - Avons pris à bord le Pilote au
large de Devils Island, et faisons maintenant route
vers le port de Halifax. Des masses de gens se
pressent sur les quais, les toits des maisons, et
dans les rues. Les pavillons des navires et des
immeubles sont mis en berne. Les Officiers de
quarantaine et les autres sont venus à bord près de
George Island, après quoi le bateau a pénétré
dans le Navy Yard, et y a accosté. Des dispositions
compliquées avaient été prises pour la réception
des corps maintenant prêts à débarquer.
10 h 00 - Le transfert des cadavres vers
le rivage a commencé. Un cortège incessant de
corbillards achemine les corps à Mayflower Rink.
C'est une curieuse image, car le 12 Février, nous
avions repêché la goélette Caledonia gorgée d'eau
et étions revenus à Halifax pour débarquer ses six
membres d'équipage, ces hommes descendant à terre
en passant inaperçus, et deux lignes dans le Daily
Paper suffirent à signaler le fait qu'ils avaient été
sauvés. Tandis qu'aujourd'hui, avec aucune vie à
montrer, des milliers de personnes viennent voir le débarquement,
et les journaux sortent avec des gros titres criards.
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